Toutes les études montrent que l’industrie du tabac est destructrice d’emplois au niveau national, qu’elle coûte au gouvernement plus qu’elle ne rapporte, qu’elle est nocive pour l’économie des pays, et engendre l’appauvrissement des populations qu’elle a réussi à enchaîner dans la dépendance à son produit. Cette industrie doit tout simplement être anéantie.
NDLR - Nous publions l'article ci-dessous en marge de l'atelier organisé à Grand Bassam (Côte d'Ivoire) par l'agence de presse économique AllAfrica Media Group (vraisemblablement pour le compte d'une compagnie de tabac), auquel ont participé une quarantaine de journalistes de l'Afrique francophone de l'Ouest. Les principaux intervenants lors de cet atelier ont été des employés des grandes entreprises de tabac, notamment de la compagnie Philip Morris International. Dans la mesure où l'information qui a été communiquée aux participants lors de cet atelier s'apparentait plus à la propagande et à la désinformation dont ces ces compagnies cigarettières sont coutumières qu'à de l'information véritable, l'OTAF a saisi l'opportunité de publier l'excellente interview du préfet Inoussa Saouna, qui est aussi un grand militant internationalement reconnu de la lutte contre le tabac au Niger et dans le monde. Dans ses réponses au journaliste qui l'interroge, Inoussa Saouna rétablit la vérité en se fondant sur des faits établis et vérifiables et des sources fiables. Les informations qu'il partage avec nous réfutent catégoriquement les thèses des compagnies de tabac.
Niamey, 14 juillet 2016 Inoussa Saouna est président de l’association SOS Tabagisme-Niger. Dans cet entretien, ce militant chevronné de la lutte contre le tabagisme prend le contre-pied de l’argumentaire de l’industrie du tabac.
Le Républicain : Vous êtes le fondateur de l’ONG SOS Tabagisme-Niger. Vous avez abattu un travail gigantesque en termes de plaidoyer dans la lutte contre le tabac. Pouvez-vous succinctement brosser un état des lieux de la lutte contre le fléau du tabagisme au Niger ?
Inoussa Saouna : Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de remercier votre journal Le Républicain qui a toujours soutenu les efforts de la lutte contre le tabac au Niger. Effectivement nous sommes engagés depuis 1999, date de la création de SOS Tabagisme-Niger, la première organisation de lutte contre le tabac au Niger. Durant plus de 15 ans, nos actions ont eu pour objectif, dans un premier temps, de promouvoir cette thématique au sein de l’opinion publique et amener les décideurs politiques à inscrire la question du tabac sur l’agenda de la santé publique au Niger, et ensuite de proposer des mesures à prendre pour protéger les populations contre ce fléau.
Inoussa Saouna
Grace à la conviction et la ténacité de SOS Tabagisme-Niger dans sa démarche, et aussi grâce au soutien de l’opinion publique, la question du tabac est devenue une préoccupation pour le Gouvernement. Ainsi, le Niger a été un des premiers pays africains à ratifier, en août 2005, la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) adoptée sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé en mai 2003. Après cette ratification, notre pays a encore été le premier pays de la sous-région à s’engager pour sa mise en œuvre avec l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi N° 2006-12 du 15 mai 2006.
Le Niger en dix ans a adopté tout un arsenal juridique en application de la Convention-cadre. Hélas en matière d’application concrète des dispositions de la loi, le bilan est très négatif. Nous avons les dispositions légales mais rien n’a été fait jusqu’aujourd’hui pour une application effective. Notons cependant que les dispositions sur la publicité des produits du tabac sont respectées du fait du retrait des compagnies du tabac suite au procès que notre association a intenté contre ses représentants.
Le Républicain : Quelles sont les mesures contenues dans cette loi antitabac ?
Inoussa Saouna : La loi antitabac du Niger était un condensé des dispositions pertinentes de la Convention-cadre de l’OMS. C’était la première loi de santé publique traitant du tabac. Elle a vu le jour grâce à l’action visionnaire du Ministre de la santé de l’époque, Ari Ibrahim, qui a été un soutien sérieux pour la santé publique au Niger, en assumant le leadership pour cette loi alors même que certains membres de sa majorité au parlement y étaient hostiles.
Selon son Article premier, la loi a pour objet de :
Pour cela, la loi a prévu les objectifs suivants : l’interdiction totale de toute forme de publicité du tabac : l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics intérieurs ; l’apposition des avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes ; et l’interdiction de la vente des produits du tabac dans les environs des établissements scolaires et sanitaires. Toutes ces dispositions de la loi ont été détaillées par des arrêtés ministériels pour rendre effective leur mise en œuvre. Comme je l’ai souligné plus haut, toutes ces dispositions souffrent de leur non application. À l’occasion de la Journée mondiale sans tabac (JMST), le 31 mai dernier, le nouveau Ministre de la santé publique a pris l’engagement de rendre effective l’application de la loi. SOS Tabagisme-Niger se réjouit de cet engagement et apportera tout son soutien au ministre afin que la loi soit mise en œuvre de façon complète et rapide.
Le Républicain : Une autre approche de lutte anti-tabagisme aujourd’hui consiste à dire « Puisqu’il est presque impossible d’empêcher aux gens de fumer alors autant recourir à d’autres alternatives visant à réduire la nocivité du tabac pour sauver les vies ». Comment appréciez-vous cette démarche ?
Inoussa Saouna : Il s’agit là d’un rideau de fumée de l’industrie du tabac. Toutes les études ont démontré qu’il n’y a pas de substitution pour trouver des cigarettes moins nocives du point de vue de la santé publique. Il faut d’abord rappeler que cet argument remonte à il y a plus d’un demi-siècle. Pendant cinquante ans, les compagnies du tabac ont nié la nocivité du tabac ; elles ont délibérément menti à l’humanité après avoir tué des millions de personnes. Cet argument selon lequel il faudrait accepter le tabagisme comme une fatalité est une manipulation grotesque caractéristique de la désinformation propagée par les multinationales du tabac : aujourd’hui la consommation du tabac est en forte baisse partout dans les pays du monde où les mesures préconisées par la Convention-cadre de l’OMS sont rigoureusement appliquées.
C’est le cas des pays comme l’Irlande, le Canada, l’Australie, la Norvège, la Thaïlande, l’Uruguay, etc. A l’heure actuelle, on envisage dans ces pays d’avoir dans les décennies à venir des jeunes qui ne connaîtront pas le tabac.
Le tabagisme est une épidémie mondiale dont l’agent vecteur est une industrie meurtrière qui se tire d’énormes profits en entraînant le plus grand nombre de personnes dans la dépendance à ses produits et qui s’organise pour maintenir cette forme moderne de racket par tous les moyens, en commençant par la manipulation, la désinformation, le mensonge, en visant notamment la presse et les journalistes qui ont pour mission d’informer le public.
Le Républicain : L’industrie du tabac c’est aujourd’hui un chiffre d'affaires de plus de 150 milliards de francs CFA, 2200 emplois directs et 156 800 points de vente en Afrique de l’Ouest. Mais si on n’y prend garde, le tabac, ce sera aussi un milliard de morts à l’échelle mondiale courant ce 21ème siècle. En tant qu’activiste dans la lutte anti-tabac, selon vous faut-il exclure cette industrie du débat ?
Inoussa Saouna : L’industrie du tabac est la seule qui a pu manipuler l’humanité en rendant légal le seul produit au monde qui tue un sur deux de ses consommateurs.
Le chiffre d’affaires de cette industrie est macabre. En vérité, qui paie les impôts à l’Etat dans ce que prévalent ces compagnies ? C’est bien sur les fumeurs. Et s’ils arrêtent de fumer la cigarette, l’argent qu’ils économisent ainsi devient un revenu pour acheter des produits de consommations plus utiles à eux-mêmes et à leur famille. L’industrie du tabac avance souvent l’argument fallacieux selon lequel le tabac serait favorable pour les pays en développement, car il serait source d’emplois, de recettes fiscales et serait bénéfique en termes monétaires. Tout cela est faux. Dans un rapport de l’OMS, il est souligné que parmi la centaine de pays producteurs de tabac, seuls le Malawi et le Zimbabwe sont dépendants de cette production de tabac, et ils traversent tous deux des crises alimentaires gravissimes.
Toutes les études montrent que l’industrie du tabac est destructrice d’emplois au niveau national, qu’elle coûte au gouvernement plus qu’elle ne rapporte, qu’elle est nocive pour l’économie des pays, et engendre l’appauvrissement des populations qu’elle a réussi à enchaîner dans la dépendance à son produit. Cette industrie doit tout simplement être anéantie, par l’éducation et la protection de nos jeunes pour qu'ils ne soient pas ses futures proies, et par l’application stricte et effective des lois en faveur de la santé publique. Des mesures antitabac efficaces réduisent le nombre de morts et de malades dus à la cigarette sans aucune conséquence négative, ni sur l’emploi et encore mois sur les recettes fiscales des pays, selon une très sérieuse étude de la Banque Mondiale. Ces mesures sont triplement gagnantes : gagnantes pour l'État qui voit ses recettes fiscales augmenter et ses coûts de santé diminuer; gagnantes pour l'économie, qui crée plus de postes de travail; et gagnantes pour la population, qui est libérée de l'esclavage chimique à un produit délétère qui nuit à sa santé et l'appauvrit.
Propos recueillis par Elh. Mahamadou Souleymane (Le Républicain No 2085), adaptés avec l’accord d'I.S. pour publication par l’OTAF.
2016.07.26/pad