Je me suis mis dans une dynamique de consultation et de plaidoyer auprès du ministère de la santé, des ministères compétents et du parlement, au sein duquel existe un réseau de parlementaires très impliqué.
(Interview accordée par Ibrahim Maiga à Pascal Diethelm, avec le soutien éditorial de Béatrice Mogenier, journaliste)
Pascal D. Comment se passe la lutte anti-tabac au Niger ?
Ibrahim M. Depuis 2010, nous travaillons sur un projet régional à 5 pays, qui comprenait au début, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso. Nous avons ensuite intégré la Guinée et la Mauritanie et aimerions élargir à la Côte d’Ivoire et au Burundi. Ce projet a été reconduit et nous parvenons à travailler sur la mise en œuvre de quelques dispositions de la Convention-cadre pour la lutte antitabac, comme les articles 5.3, 8, 11 et 13. Avant de considérer les différents articles de la loi antitabac, nous avons pensé organiser un atelier d’évaluation de la mise en œuvre de la loi pour rassembler tous les acteurs, les pouvoirs publics ainsi que les associations concernées.
Pascal D. Le Sénégal n’en fait pas partie ?
Ibrahim M. Non, il n’en fait pas partie... Au Niger, nous avons déjà une loi, un décret et des textes d’application mais ils ne sont pas bien appliqués. Mais alors, qu’est ce qui ne marche pas ? Lors de l’atelier, il s’est avéré que les gens ne connaissent pas le contenu réel de la loi donc la vulgarisation a été insuffisante. De plus, dans nos pays, l’absence de moyens est réelle pour mettre en œuvre la loi. Par exemple, il est prévu dans celle-ci qu’une police sanitaire suive l’application de la loi, fasse le constat des infractions, les réprime, mais chez nous au Niger, elle n’est constituée que de 8 agents et cela pour tout le pays ! 2 agents à la Direction régionale de la santé publique de Niamey, 2 à chaque frontière avec le Bénin et le Burkina Faso et 2 à l’aéroport international de Niamey !
Pascal. Ces agents sont les seuls à pouvoir intervenir ?
Ibrahim M. Il est prévu dans la loi que les autres forces de défense et de sécurité appuient la police sanitaire, mais encore faudrait-il que les gendarmes et les policiers soient informés sur le contenu de la loi. Le projet de loi a été insuffisamment vulgarisé. Nous avons donc voulu alerter les pouvoirs publics pour trouver des fonds, des mécanismes de financement innovants au regard de la crise économique mondiale. Rien n’est simple.
Pascal. Alors en quoi consiste votre projet ?
Ibrahim M. Nous avons fait des fiches d’information sur des études réalisées : tabac et pauvreté, taxation du tabac, mobilisation des fonds internes à la lutte anti tabac, etc et cela a permis d’évaluer ce qui était faisable ou non. Notre projet nous permet de réaliser des actions ponctuelles. Je me suis mis dans une dynamique de consultation et de plaidoyer auprès du ministère de la santé, des ministères compétents et du parlement, au sein duquel existe un réseau de parlementaires très impliqué. En tant que président de « SOS Tabagisme », j’ai soumis une collaboration… Les députés ont un pouvoir que nous n’avons pas, alors que nous, nous avons les connaissances sur le sujet de la lutte anti-tabac. Nous voudrions harmoniser et synchroniser pour consolider les efforts entrepris par notre pays dans cette lutte. J’ai trouvé des oreilles attentives. Chez nous, le Parlement est très fort et la loi des finances passe forcément par l’Assemblée nationale qui a tous les pouvoirs pour apporter des modifications. Un seul député peut interpeller le ministre de la santé lors d’une question orale…
Pascal Combien de députés sont concernés par ce réseau parlementaire ?
Ibrahim M. Sur 113 députés, ils sont 17 concernés, à savoir 15% donc, de sensibilités politiques différentes à être concernés par ce partenariat. J’ai donc soumis l’idée d’un atelier de renforcement des capacités des parlementaires nigériens sur la lutte anti-tabac. Nous avons de nouveaux députés au sein d’un nouveau Parlement et c’est essentiel qu’ils deviennent de vraies portes d’entrée à l’assemblée nationale quant à la lutte anti-tabac. Nous ne sommes que des appuis techniques et conseillers. Mais il faut un financement pour organiser un tel atelier, pour rassembler les parlementaires, les commissions finances et celles intéressées par le renforcement des capacités en matière de lutte antitabac.
Pascal. Vous avez réussi à trouver des financements ?
Ibrahim M. La FCA ne finance pas de tels projets. Alors je me suis renseigné et j’ai appris que le bureau de l’Assemblée nationale verse des fonds au réseau des parlementaires tout domaine confondu (santé, tabac, etc) : ce sont des subventions accordées pour mener à bien des activités. Le président du réseau des parlementaires a vu la pertinence de notre atelier alors il nous a octroyé 300'000 FCFA en plus des 700'000 FCFA qui venaient de notre projet financé par l’Union.
Témoignage officiel décerné le 30 mai 2013 à Ibrahim Maiga par le Ministre de la Santé Publique en marge de la célébration de la Journée mondiale sans tabac pour son engagement dans le cadre de la lutte contre le tabagisme et la promotion de la santé des populations
Pascal D. Comment s’est passée cette réunion/cet atelier et quels étaient les intervenants ?
Ibrahim M. L’atelier s’est très bien passé. En fait, en tant que sociologue, j’étais l’un des deux intervenants, aux côtés d’un économiste. Je connais bien le sujet et il fallait faire deux présentations : une sur les tactiques de l’industrie du tabac, l’autre sur les aspects économiques de la lute anti-tabac. J’ai donc soumis une présentation à l’attention d’un économiste de formation, le secrétaire exécutif de la cellule de suivi de l’action gouvernementale. Je l’ai mobilisé et lui ai montré mon projet pour qu’il le présente via le poste qu’il occupe lors de l’Atelier. Le 20 septembre dernier, nos deux présentations ont été exposées et ont été très bien reçues. Des députés nous ont posé des questions, se sont montrés réceptifs, etc. Plus tard, on a convenu de se voir au moins une fois par semaine avec le réseau parlementaire pour échanger des informations sur l’évolution progressive du projet et pour trouver des fonds.
Pascal D. Qu’est ce qui est ressorti de cet atelier ?
Ibrahim M. Deux points importants : disposer de fonds propres pour lutter contre le tabac au Niger et pour appuyer le financement de la politique de santé du gouvernement et vendre l’expertise nigérienne en matière de lutte anti-tabac. Pour matérialiser cela, avec la collaboration des parlementaires, les contacts au ministère de la santé, je suis arrivé – sans aucune ressource – à créer une dynamique. Ainsi, un arrêté a été pris en avril 2012 pour créer un comité technique (avec l’OMS, l’UNICEF, le ministère de la santé, et bien d’autres), chargé de réfléchir à la création d’un fonds social de santé au Niger. Dans cette optique, j’aimerais que l’on envisage d’instituer un prélèvement pour la santé sur les paquets de cigarettes plutôt qu’une taxation supplémentaire. J’ai fait des simulations pour voir ce que cela pourrait rapporter, mais le but consiste à changer la structure de la taxation du tabac par la Commission de l’UEMOA.
Pascal. C’est-à-dire ? Le prélèvement serait une somme fixe ?
Ibrahim M. Le prélèvement ne nécessite pas beaucoup de protocole alors que la taxe oui. Ce prélèvement pour la santé sera de 50 francs CFA par paquet de cigarettes importé et mis en consommation au Niger. Des simulations ont été faites et avec les députés, on s’est rendu compte que cela représente beaucoup d’argent. En 6 ans, le prix de tous les produits alimentaires et utiles ont augmenté voire doublé, il n’en rien pour le prix du tabac. (50 francs correspondent à 2 unités, 25 francs chacune). Tout calcul fait, nous nous sommes dit que l’essentiel consistait en la constitution d’un fonds. Des milliards auraient déjà pu être récoltés depuis plusieurs années.
Pascal Combien coûte un paquet au Niger ?
Ibrahim M. Entre 500 et 700 francs CFA. Cela dépend des marques. Avec les députés, nous avons réalisé que cela ferait beaucoup d’argent. Nous avons sciemment proposé un prélèvement élevé sachant que la marge obtenue - même plus faible - nous permettra de créer le fonds.
Pascal. A quoi les fonds seraient utilisés exactement ?
Ibrahim M. Ils le seraient pour 3 choses. Tout d’abord, pour financer la lutte contre le tabac à 40%. Puis 40% pourraient appuyer le financement de la politique de santé au sens large. Les 20% restants pourraient être consacrés à vendre l’expertise nigérienne car nous sommes très impliqués dans une vraie dynamique de lutte anti-tabac.
Pascal D. Combien de paquets sont fumés chaque année au Niger ?
Ibrahim M. Quand on a fait des simulations, on a estimé à 70 millions le nombre de paquets importés et mis en consommation au Niger en 2009… C’est en augmentation… multipliés par la somme prélevée, cela générera beaucoup d’argent, il faut donc faire attention aux dérives et convoitises possibles.
Mais le fonds va être créé, canalisé et il y aura une loi qui mentionnera la répartition de la somme prélevée sur le tabac. Nous, en tant que société civile, nous avons les créneaux et conseils juridiques pour dénoncer toute tentative de dérive, y compris sous forme de procès.
Pascal D. Il faudrait expliquer que ce prélèvement supplémentaire est comme une assurance, une prise en charge gratuite pour les fumeurs qui voudraient arrêter de fumer. Ce serait un vrai argument. Les fumeurs comprendraient mieux la raison de l’augmentation…
Ibrahim M. Des gens nous approchent déjà pour nous dire qu’ils voudraient arrêter et effectivement cet argument serait positif. On travaille donc là-dessus et pour que « SOS Tabagisme » aide les gens et s’investisse au financement et fonctionnement du comité technique chargé de réfléchir aux démarches à engager, d’où davantage de crédibilité et de sérieux à l’endroit de notre association.
Pascal D. La Suisse ne fait pas partie de la Convention cadre mais elle a une expérience en ce domaine. Elle a institué une redevance pour chaque prélèvement fixe de quelques centimes, cela génère un fonds de 15 M de francs suisses, fonds géré de façon particulière qui ne nourrit pas de conflit d’intérêt. Vous pourriez vous inspirer de cette expérience…
Ibrahim M. Tout à fait.
Pascal D. Est-ce que votre projet fait partie d’un projet plus large ?
Ibrahim M. Oui car le Niger a un plan stratégique, un plan national 2012 – 2016, de lutte contre les maladies non transmissibles, évoqué lors de la Conférence mondiale tenue à Singapour. Ce programme national est déjà installé avec la construction en cours d’un siège à Niamey: le gouvernement nourrit de vraies ambitions dans ce domaine. Depuis 2011, la loi sur la création d’un Centre National de Lutte contre le Cancer (CNLC) existe.
Pascal D. Cette dynamique s’étend-elle à d’autres pays ?
Ibrahim M. J’aimerai que cette dynamique s’étende aux pays de l’UEMOA (Pays membres de l'Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine) car la Commission de l’UEMOA plafonne et oriente la politique des Etats en la matière, en termes de taxation et fiscalité. Le réseau parlementaire de mon pays est prêt à créer la demande, à rencontrer les députés des 8 pays du CIP (Comité Interparlementaire de l’UEMOA) et ainsi démarcher avec leurs collègues des autres pays.
Pascal D. Le Sénégal ne fait pas partie de ton projet ?
Ibrahim M. Le Sénégal ne fait pas partie du projet financé par l’Union mais est déjà avec l’ATCC (African Tobacco Control Consortium) qui ne nous soutient pas mais qui travaille sur plusieurs aspects de la lutte antitabac en Afrique dont la campagne de taxation, la campagne de développement, le réseautage et la campagne médiatique. Ce sont deux logiques différentes.
Pascal D. Il n’y a pas double emploi entre vous ?
Ibrahim M. Non, au Niger, notre projet est avec l’Union.
Pascal D. Cela ne pose pas de problèmes de coordination ?
Ibrahim M. Non, on se connaît bien entre acteurs donc cela ne cause pas de problèmes et on essaie d’harmoniser. Mon ambition est que les parlementaires soient imprégnés des opportunités des gouvernements à taxer le tabac et j’apporte ainsi ma modeste contribution. Voilà pourquoi je démarche les gens, pour que l’expérience s’étende aux pays de l’UEMOA et change ainsi la structure de la taxation du tabac pour passer de droits ad valorem à des droits spécifiques. Nous travaillerons sur cela en 2013. Il nous faut créer le fonds mais aussi le contrôler et veiller à ce que nous ne créions pas des envieux. Il faut déjà finir les démarches quant à l’aspect national avant de s’engager sur un aspect international.
Pascal D. Et qu’en est-il de l’ingérence de la part de l’industrie du tabac ?
Ibrahim M. Pour l’instant ça va, nous évoluons sans problèmes, sachant que c’est moins facile pour eux d’interférer. J’ai constaté qu’elles se tiennent tranquilles, n’installent pas de panneaux publicitaires géants dans certaines villes, et ne distribuent pas de cigarettes, alors que j’en doutais. C’est vrai qu’il y avait eu ingérence au Burkina mais notre loi, au Niger est plus forte et nous avons les moyens d’alerter l’opinion nationale et internationale.